La chaire

Mis à jour le 8 avril 2024

Ce meuble imposant, implanté sur le côté droit de la nef, en rompt la belle perspective. Il reste cependant le témoin d’un temps révolu, celui où, pour se faire bien entendre des fidèles, le prêtre montait sur cette tribune surmontée d’un abat-voix. Désormais, le microphone et la sonorisation constituent une aide non négligeable pour être bien entendu par l’assistance.

Collégiale Saint-Piat de Seclin

Pendant des siècles, la chaire à prêcher a été le meuble de la Parole, laquelle s’exprime selon différents modes à travers le sermon, l’homélie (simple instruction à partir d’un commentaire des Saintes Écritures), l’oraison funèbre, ou encore le prône. Ce dernier permet de tenir les fidèles au courant de la vie de la paroisse ; les bans des mariages y sont proclamés, les offices et les cérémonies à venir y sont annoncés ; parfois il y est recommandé quelqu’un à la charité ou aux prières de tous.

La chaire visible de nos jours fait suite à deux autres connues et répertoriées : la « chaire preschoire », antérieure à 1784 et celle des Annonciades, de 1784 à 1918.

La « chaire preschoire »

Le 30 janvier 1705, par devant notaire, dix manants et bourgeois de Seclin attestent qu’ils ont toujours vu cette chaire posée contre un pilier au milieu de l’église.

Voici le texte de l’attestation notariée : « Ils ont toujours vu la chaire preschoire de l’église dudit Seclin, posée et jointe à un pilier au milieu de la nef de ladite église comme on le voit encore à présent et à peu pres ainsy que ladite chaire est cy devant figurativement désignée avec quelques armoiries y apposées, entre lesquelles, celles de sa majesté catholique, roy d’Espagne, tient le premier rang, estant jointes au pan de ladite chaire qui regarde le chœur de la même église, et celles de ladite ville de Seclin au costé gauche à la porte de la même chaire. » (Archives Départementales du Nord, doc 17 G 92)

Le dessin à la plume qui accompagne cette attestation a le mérite d’être plus explicite.


D’un style qui ne dépare pas le gothique tournaisien des colonnes de la nef, la chaire apparaît bien adossée à un pilier. Un abat-voix très simple la surmonte. Cinq panneaux ornés de bas-reliefs en ornent la façade. On retrouve les armoiries du roi d’Espagne sur le premier panneau, celui qui « tient le premier rang », le plus proche du chœur. Le panneau des armoiries de Seclin est bien près de la porte de la chaire, à laquelle on accède par un escalier de dix à douze marches. Au centre figure saint Piat, entre les armoiries du Souverain pontife, sur sa droite, et celles de l’évêque de Tournai, sur sa gauche.

La présence des armoiries du roi d’Espagne suggère que la chaire, telle qu’elle est dessinée, a été réalisée bien avant le 2 mai 1668, date du Traité de Paix d’Aix-la-Chapelle qui entérine le rattachement à la France de Louis XIV de plusieurs villes avec leurs baillages et châtellenies, dont Lille, Douai et Armentières.

La chaire des Annonciades

Le 7 octobre 1784, « Messieurs [les chanoines] ont convenu d’acheter la chaire à prêcher provenant du couvent des Annonciades de Lille, pour le prix de 380 livres de France et la balustrade pour celui de 48 livres. » (Registre aux actes des vénérables et discrets Sieurs Messieurs les Doyen et Chapitre de l’Église Collégiale de St Piat à Seclin commençant le 2 juin 1724)

Les chanoines ont donc décidé de se séparer de l’ancienne « chaire preschoire ». À leurs yeux, elle détonnait dans leur collégiale transformée par les travaux importants effectués pour l’essentiel dans le chœur, mais aussi dans la nef, au cours des cinq ou six décennies passées.

Une occasion était à saisir. En effet, les Annonciades de Lille vendaient leurs biens avant la suppression de leur couvent.

Les Annonciades sont des religieuses contemplatives. Quatre d’entre elles, originaires du couvent de Douai, s’installent à Lille en 1628 dans le but d’ouvrir un nouveau monastère. Très vite, leur nombre s’accroît. La construction du monastère débute en 1630 et son église est consacrée en 1641. Le cloître est vaste et spacieux. Le couvent possède des fermes et des terres. Les rentes et les fondations pieuses complètent les revenus. Cependant, cette richesse décline peu à peu. À la fin du XVIIIème siècle, la communauté est pauvre. Le 1er juillet 1784, la vente et la suppression du couvent sont enregistrées par lettre patente royale. Le monastère est vendu à des particuliers. Les sœurs se dispersent dans divers monastères de Lille, Tourcoing ou Lannoy.

Les photographies de l’intérieur de la collégiale Saint-Piat montrent une chaire monumentale. On peut regretter qu’aucune ne la représente prise de face. Mais l’effet est cependant saisissant.

Sur la photographie prise par les Allemands en 1915, la chaire est placée dans le côté droit de la nef, entre les piliers de l’avant-dernière travée avant le transept. Elle en occupe tout l’espace. Le sommet de la chaire est presque à la même hauteur que la pointe de l’arc brisé. Au sol, elle occupe la moitié de l’espace compris entre l’allée centrale et le bas-côté sur lequel elle empiète en partie. L’autre moitié de cet espace libre de sièges, laisse le passage au prédicateur. Deux escaliers curvilignes avec balustrade permettent d’accéder à la cuve ; ils sont comme deux bras qui l’enserrent. L’abat-voix est constitué d’un dôme surmonté d’une croix sur un piédestal. Le dôme est plus grand que la cuve qu’il domine. Cette chaire est en bois de chêne sculpté à la façon flamande du XVIIème siècle.

Intérieur de la collégiale en 1915


Survient la Révolution. « Le mobilier de la collégiale et les autres biens du Chapitre, devenus biens nationaux, furent vendus à vil prix ; la collégiale dépouillée, fut fermée au culte… » (Th. LEURIDAN, in Histoire de Seclin, Tome I, L’église collégiale, le Chapitre et la paroisse Saint-Piat, Imprimerie Desclée, De Brouwer et Cie, Lille 1929) Mais la chaire des Annonciades resta dans la nef, quasiment intacte. À l’instar de l’orgue qui fut sauvé de la démolition au motif qu’il servait aux fêtes publiques nationales et décadaires pendant la période révolutionnaire, la chaire fut épargnée. Elle fut utilisée par les nouveaux responsables de la commune ou du district pour annoncer les décrets et arrêtés divers aux citoyens assemblés dans l’édifice.

En octobre 1918, avant leur retraite, les occupants allemands dynamitent la tour du clocher, laquelle détruit dans sa chute une grande partie de la collégiale, la nef et le bas-côté au sud et la façade principale à l’ouest. La chaire est alors écrasée. Mais des débris, on sauve trois panneaux de la cuve ainsi qu’une partie de l’abat-voix orné de sculptures d’angelots. Ces restes serviront à confectionner la cathèdre – ou chaire épiscopale – située dans le chœur près du maître-autel. Les trois panneaux sculptés sauvegardés représentent trois des quatre évangélistes en compagnie de leur animal symbolique : saint Jean et l’aigle, saint Marc et le lion, saint Luc et le taureau. Ce dernier est bien visible sur la photographie de la chaire dans la nef. Jean-Paul Thorez supposait que le panneau arrière – le dorsal – de cette chaire comportait la représentation de saint Mathieu.

Trois des panneaux de la chaire des Annonciades
(Photographies du fonds Jean-Paul THOREZ)

La chaire imagière

Elle remplace la chaire détruite en octobre 1918.

Sa fabrication a été confiée en 1934 à la Grande Fabrique de Meubles Jules DEGORRE de Somain (Nord) ; cette même entreprise réalisa le banc des marguilliers, le porche, le support de la cuve des fonts baptismaux, la tribune et le buffet d’orgue de la collégiale.

Le chanoine Alexandre LOCQUET, curé-doyen de Seclin, apporta indications et précisions pour sa réalisation ainsi que pour les sculptures des scènes décorant le meuble, sans oublier le style à adopter. (Archives du presbytère de Seclin – Reconstruction 2)

Le sculpteur, à qui il a été fait appel, est André César VERMARE (1869-1949), lauréat du Grand Prix de Rome.

En chêne massif, de couleur plutôt claire, la chaire est imposante, moins cependant que celle qu’elle remplace.

La cuve est soutenue par un pied central. On y accède par deux escaliers curvilignes dont les balustrades pleines sont décorées de panneaux de bois sculptés. L’abat-voix prend la forme d’une pyramide hexagonale tronquée. Il est surmonté d’une tour à six faces, sculptée et terminée par une croix.

Des bas-reliefs décorent les vingt-cinq panneaux de bois de la chaire.

● Sur l’arrière de la chaire – quand on veut y monter depuis le bas-côté – Moïse descend du Sinaï, tenant les Tables de la Loi, inscription : Ego sum Dominus Deus tuus. Cap. XX Exodi (Je suis le Seigneur ton Dieu. Chapitre 20 de l’Exode) ; en-dessous, le blason de la collégiale : saint Piat accompagné d’un cerf, un des symboles du chrétien.

● L’escalier de gauche comprend six panneaux, dans l’ordre de bas en haut :

– le blason d’Achille LIÉNART (1884-1973), évêque de Lille, créé cardinal le 30 juin 1930, avec sa devise : Miles Christi Jesu (Soldat du Christ Jésus)

– un marteau brise une pierre, inscription : Quasi malleus conterens petram (Comme un marteau qui pilonne le roc[de l’erreur], Jérémie 23, 29

– la main du semeur [de la parabole], inscription : Semen est Verbum Dei (La semence est la parole de Dieu), saint Luc 8, 11

– deux bras aux poignets entravés et enchaînés, inscription : Veritas liberavit vos (La vérité vous libéra), saint Jean 8, 32.

Remarque : Le texte latin n’est pas en adéquation avec l’image : les deux bras sont enchaînés, et leur propriétaire attend encore d’être affranchi. En fait, il convient de se référer au texte de saint Jean 8, 31 et 32 :
“31. Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui, si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ;
32. alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.” (Traduction AELF Association Episcopale Liturgique pour les pays francophones) Par suite, c’est le futur LIBERABIT qui aurait dû être utilisé plutôt que le parfait (équivalent de notre passé simple) LIBERAVIT.

– l’évangéliste saint Matthieu avec un livre ouvert

– l’évangéliste saint Jean avec l’aigle.

● L’escalier de droite comprend six panneaux, dans l’ordre de bas en haut :

– le blason du pape Pie XI (1857-1939), élu le 6 novembre 1922

– un glaive, inscription : Gladium Spiritus quod est Verbum Dei (Le glaive de l’Esprit, la Parole de Dieu), saint Paul aux Éphésiens 6, 17

– une torche allumée, inscription : Lumen semitis meis ([Ta parole est] une lumière sur ma route), Psaume 119, 105

– une trompette enrubannée, inscription : Quasi tuba exalta vocem Meam (Amplifie Ma voix comme la trompette), Isaïe 58, 1

– l’évangéliste Luc avec le taureau

– l’évangéliste Marc avec le lion.

La chaire vue de face

● La cuve de la chaire est ornée de trois panneaux :

– à gauche : le martyre de saint Piat

– au centre : saint Éloi découvrant le tombeau de saint Piat

– à droite : saint Piat et ses compagnons de mission

(Photographies du fonds Jean-Paul THOREZ)

● La face intérieure de l’abat-voix est décorée d’une colombe, symbole du Saint-Esprit.

● La face dorsale de la cuve : la parole de Dieu arrose la terre de ses rayons, inscription : Verbum Dei non est alligatum (La Parole de Dieu n’est pas enchaînée), saint Paul 2ème épître à Timothée, 2, 9.

● Les panneaux de la tour hexagonale représentent six personnes en rapport avec saint Piat :

– saint Éloi, fondateur de la première église de Seclin

– saint Eubert, compagnon de saint Piat, patron de la première église de Seclin et de l’église de Martinsart

– saint Éleuthère, dont saint Piat a converti un ancêtre

– saint Denis, chef de la mission dont saint Piat fit partie

– saint Chrysole, compagnon de saint Denis et de saint Piat, patron de Comines

– saint Quentin, compagnon de saint Piat.

Les vingt-cinq panneaux décorés de cette chaire constituent un véritable livre d’images. Ce livre est à lire un peu comme on lit les vitraux ou les sculptures d’un édifice religieux. En l’occurrence, encore faut-il comprendre les citations latines et ce à quoi elles font référence.

Le chanoine LOCQUET, curé-doyen de Seclin, a certes voulu les panneaux que nous voyons aujourd’hui, mais, déjà à son époque, étaient-ils nombreux les latinistes et les personnes férues d’exégèse ? Et pourtant, ces panneaux étaient bien destinés à éduquer et édifier quiconque les regarderait.

Philippe Bacqueville